Eurofins Scientific, une entreprise renommée dans le domaine des services de bio-analyse, est récemment devenue la cible d’une attaque virulente menée par Muddy Waters, un fonds d’investissement spécialisé dans la vente à découvert. Ces derniers mois, Muddy Waters a publié plusieurs rapports accusant Eurofins de pratiques financières douteuses et de manipulation comptable, suscitant des inquiétudes parmi les investisseurs et les parties prenantes. Cette campagne d’accusations vise à faire chuter le cours de l’action d’Eurofins, permettant ainsi à Muddy Waters de réaliser des profits substantiels grâce à ses positions vendeuses.
Les accusations de Muddy Waters contre Eurofins sont graves et variées. Elles vont de la gestion opaque des actifs immobiliers par le fondateur Dr. Martin à des pratiques comptables complexes et potentiellement trompeuses. En réponse, Eurofins a nié fermement ces allégations et tenté de rassurer ses investisseurs sur la transparence et l’intégrité de ses opérations.
Ce dossier explore en détail les accusations portées par Muddy Waters, les réponses d’Eurofins, et les implications potentielles de cette confrontation pour l’avenir de l’entreprise et la confiance des investisseurs.
Partie 1 : Le 24 Juin 2024 début du Short Sell sur Eurofins.
Le 24 juin 2024, Muddy Waters a publié un rapport intitulé « MW is Short Eurofins (ERF.FP) ». Ce rapport annonce leur position vendeuse sur Eurofins et expose une série d’accusations de pratiques financières douteuses contre l’entreprise.
Le jour même le cours de bourse d’Eurofins Scientific baisse de 16,5%.
Immobilier
Muddy Waters accuse Dr. Martin, le fondateur d’Eurofins, d’avoir siphonné de l’argent de l’entreprise pour bâtir son portefeuille immobilier commercial pendant 20 ans (Page 1).
Jusqu’en 2019, Eurofins affirmait ne pas chercher à acheter de biens immobiliers parce que cela « immobilise du capital à des taux de rendement faibles ». Pourtant, pendant deux décennies, Eurofins semblait payer beaucoup plus à Dr. Martin que si elle avait acheté les biens immobiliers elle-même (Page 2).
Dr. Martin aurait un portefeuille immobilier de 36 bâtiments commerciaux en 2023. La plupart sont loués à Eurofins (page 4). Il aurait acheté la propriété de Lancaster pour 23,75 millions de dollars via sa société de portefeuille Lancaster New Holland Real Estate, Inc. (page 6). Les anciens employés ont affirmé qu’Eurofins achetait souvent des entreprises avec des biens immobiliers que Dr. Martin pouvait acquérir pour les louer ensuite à Eurofins, souvent à des tarifs supérieurs au marché (page 8).
Selon des informations recueillies auprès d’anciens cadres supérieurs, Dr. Martin aurait fait payer à Eurofins des loyers supérieurs aux prix du marché pour les biens immobiliers qu’il possédait. Il semble également que Dr. Martin ait exigé des dépôts de loyer excessivement élevés et que les frais d’exploitation des propriétés aient été pris en charge par Eurofins, augmentant ainsi ses propres revenus (Page 9).
Les anciens cadres ont rapporté que les loyers imposés par Dr. Martin étaient un lourd fardeau pour les entreprises acquises par Eurofins, réduisant considérablement leurs marges bénéficiaires après acquisition. Malgré les déclarations d’Eurofins affirmant qu’elle n’acquérait pas de biens immobiliers pour éviter l’immobilisation de capitaux, il apparaît que cette stratégie a permis à Dr. Martin de réaliser des bénéfices substantiels grâce aux locations (Page 9).
Après un rapport critique de Shadowfall Research en 2019, Eurofins a cessé de permettre à Dr. Martin d’acheter de nouveaux biens immobiliers. Toutefois, Eurofins continue de payer des loyers élevés pour certains bâtiments, comme celui de Pomona en Californie, où elle n’utilise apparemment que la moitié de l’espace tout en payant un loyer pour l’ensemble du bâtiment (Page 9).
Enfin, il semble qu’une des stratégies d’acquisition d’Eurofins était d’acheter des entreprises possédant des biens immobiliers que Dr. Martin pouvait ensuite acquérir et relouer à Eurofins, souvent à des tarifs élevés, ce qui a été confirmé par plusieurs anciens cadres supérieurs de l’entreprise (Page 9).
Acquisitions
À mesure qu’Eurofins grandit, elle réalise des acquisitions de plus en plus petites, avec des acquisitions en 2019 générant en moyenne 5,0 millions de dollars de revenus annuels, ce chiffre ayant diminué à 3,1 millions de dollars en 2023. La grande majorité de ces acquisitions ne dépasse pas le seuil de divulgation, rendant ainsi la majeure partie des dépenses opaques (Page 1).
Comptabilité
Eurofins nie être excessivement complexe, mais en 2023, son auditeur a dû reclasser 682 millions d’euros de créances et de dettes dans les comptes de 2022 (Page 2).
Eurofins est également critiqué pour sa comptabilité confuse et imprécise, susceptible de dissimuler de graves problèmes financiers. Par exemple, en 2022, la filiale britannique Eurofins BLC Leather Technology Centre Ltd a déclaré un solde de trésorerie de 1,2 million de livres sterling, mais une analyse détaillée a révélé que seulement 124 000 livres sterling étaient de la trésorerie réelle, le reste étant des créances inter-entreprises (page 13).
En outre, Eurofins aurait des contrôles internes déficients, facilitant la malfaisance. Il semble que l’entreprise repose largement sur des feuilles de calcul pour ses rapports financiers internes, plutôt que sur un système ERP robuste, ce qui rend la manipulation des chiffres possible (page 17). Par exemple, un ancien employé a mentionné que les marges brutes rapportées par Eurofins pour une unité qu’il gérait étaient nettement inférieures à ce qu’il aurait attendu, suggérant une possible manipulation des dépenses (page 18).
Chiffres impressionnants
Le revenu par employé d’Eurofins a longtemps été une exception notable dans l’industrie (environ 50% à 70% plus élevé) tandis que les métriques de ses comparables étaient dans une fourchette restreinte (Page 2).
Les marges d’Eurofins apparaissent généralement alignées avec celles de l’industrie. Cela est principalement dû au fait que la rémunération par employé est également une exception significative (environ 30% plus élevée). Cependant, d’anciens employés nous ont souvent exprimé que, en dehors des managers performants de grandes unités commerciales, Eurofins n’est généralement pas au sommet de l’industrie en termes de grille salariale (Page 2).
Enfin, Muddy Waters soulève des préoccupations concernant la gouvernance de l’entreprise, notant que plusieurs cadres supérieurs de longue date semblent recevoir une compensation informelle, ce qui pourrait compromettre leur loyauté envers l’entreprise. Par exemple, Svend Aage Linde, CEO d’Eurofins Nordics, aurait reçu une propriété d’une valeur de 670 000 euros pour 1 DKK en 2016 (page 19).
Brule du cash
Bien qu’Eurofins semble être une entreprise mature, elle a levé et consommé des milliards de dollars ces dernières années, soi-disant pour financer sa croissance (Page 2).
Partie 2 : Muddy Waters remet une couche
Le deuxième rapport de Muddy Waters Research sur Eurofins Scientific expose une série de préoccupations concernant les pratiques comptables et de gestion de l’entreprise.
Sociétés vides
Selon une source anonyme B Eurofins aurait utilisé des entités juridiques vides pour transférer des coûts et des pertes inexpliquées, permettant ainsi de manipuler les résultats financiers sans explications détaillées. Ces entités, qualifiées de bad banks par Muddy Waters, sont maintenues ouvertes après la fermeture des installations physiques, et sont utilisées pour absorber les coûts et pertes de différentes entités légales, rendant ainsi les manipulations difficiles à détecter (Page 2).
Audit
Eurofins emploie au moins 18 auditeurs, dont 13 en Europe. Cette fragmentation pourrait compliquer la communication entre les auditeurs et permettre des manipulations financières. Le rapport suggère que cette structure pourrait être intentionnellement optimisée pour compliquer la surveillance et la transparence des audits (Page 3).
Eurofins affirme que presque 100% de ses revenus externes sont couverts par des audits. Lais cette affirmation est jugée trompeuse car seulement 71% des revenus consolidés sont couverts par Deloitte, le principal auditeur global. Cette disparité suggère que 29% des revenus externes d’Eurofins ne sont pas couverts par le travail de Deloitte, soulevant des préoccupations quant à l’exactitude des déclarations financières de l’entreprise (Pages 27-28).
Comptabilité complexe
Le rapport estime qu’Eurofins génère environ 325,000 créances et dettes inter-sociétés par an. Cette complexité rend la traçabilité des transactions difficile, facilitant ainsi la possibilité de manipulations financières (Page 3).
En 2022, environ 800 à 900 entités d’Eurofins ont généré chacune moins de 5 millions d’euros de revenus. Ces entités, qualifiées d’immatérielles, représentent un total estimé entre 1,5 et 1,7 milliard d’euros de revenus. Le rapport suggère que cette structure fragmentée donne à Eurofins de nombreuses opportunités pour créer des revenus et des dépenses fictives (Page 3).
Le rapport décrit un scénario hypothétique où des factures internes fictives pourraient être utilisées pour créer des revenus fictifs entre différentes entités du groupe, compliquant la détection de ces manipulations. Par exemple, une facture de 100,000 euros pour des services jamais rendus pourrait être utilisée pour enregistrer des revenus fictifs, qui seraient ensuite netted (compensés) via des transactions internes complexes (Pages 4-5).
Un exemple de 2018 montre que les créances et dettes inter-sociétés ont été réduites de manière significative sans explication claire, soulevant des questions sur la transparence et la précision des états financiers d’Eurofins. En 2018, Eurofins Support Services a reclassé ses créances inter-sociétés de 76,5 millions d’euros et ses dettes inter-sociétés de 75 millions d’euros (Pages 6-10).
Chiffres impressionnants
Le revenu par employé d’Eurofins est plus important que ses concurrents (Page 14).
Le salaire moyen par employé est plus important que ses concurrents (Page 15).
Cash en baisse de -99%
La société Genomics n’a pas de salariés mais a enregistré 3,4M de bénéfices dès sa première année d’existence. En 2023, elle a révisé à la baisse le solde de trésorerie de l’année précédente de -99%. (Page 16).
Factoring
Eurofins a nié l’utilisation du factoring/affacturage pour ses créances et dettes, mais des témoignages d’anciens employés et des preuves indirectes suggèrent le contraire. Un ancien responsable de l’entreprise (Source G) a indiqué que le factoring était utilisé pour gérer les flux de trésorerie, en particulier pour financer la croissance rapide de l’entreprise à partir de 2014 (Pages 23-26).
En 2020, le rapport annuel d’Eurofins Scientific mentionnait explicitement que le groupe n’avait mis en place aucune opération de factoring. La déclaration était la suivante : « À la connaissance du groupe, aucun autre engagement hors bilan significatif n’existe. Le groupe n’a mis en place aucune opération de factoring ou de titrisation avec des tiers. » (Rapport Annuel 2020, page 189). Cependant, entre 2021 et 2023, cette mention a été retirée des rapports annuels. Cette omission soulève des questions quant à la transparence des pratiques financières d’Eurofins, surtout en ce qui concerne les transactions hors bilan et les éventuelles opérations de factoring (Page 24).
Conclusion
Le rapport de Muddy Waters soulève des préoccupations majeures sur les pratiques comptables et la transparence d’Eurofins Scientific.
Les allégations incluent l’utilisation d’entités juridiques vides, la fragmentation des audits, la manipulation des créances et dettes inter-sociétés, et des déclarations potentiellement trompeuses sur les pratiques de factoring.